MONUMENT GNOMONIQUE |
INV. : Inscrit à l’inventaire supplémentaire des M-H le 03/01/1995 |
Grès, métal, béton, mortiers divers |
Dimensions totales (Hxlxp en centimètres) : 256x73x73 |
Description
Un bloc gnomonique ou cadran multiple est une construction présentant plusieurs cadrans solaires.
Ce monument classé au titre des objets date de 1764. Il est originaire de l’abbaye cistercienne Notre Dame, à Neubourg près de Haguenau. Son auteur est inconnu. Les révolutionnaires ayant détruit l’abbaye, le monument a été disposé devant l’église de Neubourg. Acquis par la Ville de Haguenau en 1884, il est placé au lieu-dit de Bellevue, puis au cimetière Saint-Georges et enfin à sa place actuelle, face à l’Hôtel de Ville (place Charles de Gaulle).
Les petits dégâts de surface que l’on peut observer ont été causés par des éclats d’obus lors de la Seconde Guerre mondiale.
Le monument est constitué de plusieurs blocs de grès qui ne proviennent ni de la même époque, ni du même lieu.
La singularité et l’étonnante fonction de l’édifice reposent sur le bloc central. C’est en effet sur cette pièce que sont gravés les quatre cadrans solaires.
Le multiface ce compose de cinq parties empilées et posées sur un socle de béton.
En forme de stèle de section carrée, il comporte un soubassement mouluré, une partie centrale parallélépipédique en grès bigarré surmonté d’un balustre orné d’une joubarbe stylisée souvent utilisée à l'époque du style rococo.
Cette plante symbolique se trouvait souvent sur les poteaux d'entrée des fermes alsaciennes.
Le terme joubarbe viendrait en effet de Jovis barba, qui signifie « barbe de Jupiter » : la joubarbe entretiendrait ainsi avec le souverain du panthéon gréco-romain un lien particulier, qui lui confère des propriétés protectrices contre la foudre.
Dans le même registre décoratif, le soubassement et aussi le sommet du prisme sont sculptés d’un décor rocaille très raffinés. Le prisme central contient 3 cadrans (faces sud, est et ouest).
La présence réunie de ces différents cadrans offrant la lecture des heures italiques, babyloniques et judaïques fait de ce monument un objet rare.
Lecture des cadrans
Sur la face sud
On trouve deux cadrans. S’ils se ressemblent, ils ne servent pas le même but.
Le cadran supérieur
L’inscription « HORAE JUDICAE » donne la nature du cadran : il s’agit d’un cadran judaïque aussi appelé cadran biblique. Il fournit les heures telles que la Bible les mentionne, La journée est divisée en 12 heures à partir du lever du soleil, jusqu’à son coucher (lorsqu’il est midi, le cadran marquera 6h).
Il permettait de suivre les règles monastiques imposant les différents moments de prières :
- laudes : à l'aurore ; l’heure 0 (au lever du soleil) grand office du lever du jour
- prime : première heure du jour ;
- tierce : troisième heure du jour ; (au milieu de la matinée)
- sexte : sixième heure du jour ; (à midi)
- none : neuvième heure du jour ; (au milieu de l’après-midi)
- vêpres : le soir ; à la douzième heure (au coucher du soleil) - les vêpres terminaient le cycle canonial de la journée.
Les sept courbes de déclinaison mensuelles horizontales indiquent les solstices et équinoxes ainsi que les signes du zodiaque correspondants. Cette représentation permettait de déterminer approximativement la date. Une huitième courbe uniquement décorative est placée sous celle du solstice d’été.
Le cadran inférieur
C'est un cadran à heures normales, donnant « l’heure solaire vraie locale ».
Le soleil à son apogée indique 12h00.
Les indications au bout des courbes de déclinaison :
- à gauche, les colonnes permettent de connaitre les heures des couchers du soleil et la durée des nuits.
- à droite, les colonnes permettent de connaitre la durée des jours et les heures des levers du soleil.
Le procédé de lecture est rare : seule l’extrémité de l’ombre peut être prise en considération
Comment passe-t-on de l'heure solaire lue sur le cadran à l'heure légale, l’heure de nos montres ?
En noir, l'ombre du style : il est 10h30 heure solaire vraie locale.
Comment passer de l'heure solaire à l'heure légale ?
Soit Ts l'heure solaire et TL l'heure légale. On a la relation suivante :
TL= Ts +E + L+ 1h (2h en été)
L représente la longitude du lieu, soit pour Haguenau :
L= -7°,47' soit après conversion en minutes de temps : -31mn
Equation du temps
Suite à des irrégularités du mouvement apparent du Soleil autour de la Terre, on introduit un soleil fictif (ou moyen) se déplaçant dans le plan équatorial d'un mouvement uniforme, faisant un tour en 1 an. Le retard ou l'avance, en minutes et secondes de temps, du Soleil par rapport au soleil moyen est appelé « équation du temps », noté E.
Les valeurs de E sont données par le tableau ci-dessous :
Par exemple, on lit E= -4 mn le 14 septembre.
D’où : TL= 10h30-4mn-31mn+2h= 11h55mn
L’inscription dans le bas du soubassement, côté sud, est un chronogramme. On dit qu’un texte contient un chronogramme, lorsque l’addition des caractères qui sont singularisés (qui ont en même temps une signification de chiffre romain) fournit un millésime.
ITANTELAPIDE CIRCVIT VMBRA
« L’ombre tourne sur la pierre pour celui qui passe »
Le chronogramme donne la date de 1764.
ITANTE | 1 | 1 |
LAPIDE | 50+1+500 | 551 |
CIRCVIT | 100+1+100+5+1 | 207 |
VMBRA | 5+1000 | 1050 |
TOTAL | 1764 |
Les faces est et ouest présentent quant à elles des cadrans solaires symétriques, qui ne diffèrent que par le numérotage des lignes horaires puisque le soleil éclaire la face est avant midi et la face ouest après-midi. Sur ces derniers est gravée la même inscription : « HORAE ITALICAE ET BABYLONICAE ». Seule la pointe de l'ombre du style permet la lecture.
On peut donc observer des lignes permettant deux lectures sur le pourtour.
- La lecture, indique le temps écoulé depuis le lever du soleil
Les heures babyloniques - dites « Horae ab ortu » étaient utilisées par les Egyptiens, les Perses, les Syriens, les Chaldéens ou encore les Grecs - La lecture des heures Italiques est particulier : Le comptage des heures italiques démarre au coucher du soleil. La journée est divisée en 24 heures. On mesure les heures italiques, dans le sens inverse, c'est à dire le temps qui reste jusqu'au coucher du soleil (et donc, en faisant la différence avec 24 heures, le temps restant avant son prochain coucher).
Les heures italiques ou « Horae ab occasu » étaient employées par les Chinois, les Hébreux et les Romains. On peut retrouver, sur le fronton sud de la cathédrale de Strasbourg, ces mêmes cadrans solaires : les cadrans de Dasypodius.
Enfin, la face nord ne présente pas de cadran solaire. On y trouve cependant l’inscription latine d’un verset de la Bible :
EXHORTATIO SALVATARIS VIGILATE OVIA NES CITIS OVA HORA DOMINVS VESTER VENTVRVS SIT
« Veillez donc, puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra »
(Matthieu 24-42)
Le chronogramme donne également la date de 1764.
EXHORTATIO | 10+1 | 11 |
SALVATARIS | 50+5+1 | 56 |
VIGILATE OVIA | 6+1+50+6 | 63 |
NES CITIS OVA HORA | 100+1+1+5 | 107 |
DOMINVS VESTER | 500+1000+1+5+5 | 1511 |
VENTVRVS SIT | 5+5+5+1 | 16 |
TOTAL | 1764 |
La Ville de Haguenau adresse ses plus sincères remerciements aux personnes ayant contribué à la restauration du monument et à l’élaboration des documents de présentation parmi lesquelles :
- M. Joseph GENTNER, guide et membre de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Haguenau.
- M. Charles MULLER, membre de la Société d'Histoire et Archéologie de Brumath et des environs, pour leur aide précieuse dans l’élaboration de cette présentation.
- M. Hervé STAUB Ancien président de l’association DASYPODIUS (Association pour la Sauvegarde et le Renouveau des Cadrans Solaires en Alsace).
- M. Jean-Marie PONCELET membre de l’association DASYPODIUS et de la Commission des Cadrans Solaires de France (Société Astronomique de France).
- Mme Florence GODINOT Etudes stratigraphiques et techniques, conseil conservation-restauration de sculptures / musées de France-monuments historique.